« En philosophie, il s’agit avant tout de réfléchir »

Entretien avec Jiří Ševčík, bachelier 2021 de la Section tchèque de Dijon qui s’est classé deuxième au Concours général de philosophie en 2021.
Entretien effectué en août 2021

Qu’est-ce qui a motivé ta candidature à la section tchèque de Dijon ?
Depuis que l’idée m’en est venue, j’ai vécu ma candidature pour la Section comme une sorte d’essai improbable auquel je ne croyais pas vraiment. Je ne connaissais d’abord pas du tout l’univers francophone qui a pourtant le mérite d’être amplement développé en République tchèque et c’est seulement après avoir remporté l’équivalent tchèque du Concours général en français langue étrangère que j’ai découvert toutes les portes que le simple fait d’apprendre le français pouvait ouvrir à un étudiant. Il y avait l’ensemble des activités proposées par l’Institut français, toute une collection de littérature accessible grâce à sa médiathèque, le programme Un an en France, et enfin ces fameuses Sections tchèques… Les possibilités étaient nombreuses et, décidé que j’étais depuis déjà quelques années à partir à l’étranger dès que possible, j’y trouvais vite mon compte. Passer trois ans à Dijon me paraissait néanmoins un peu trop fou pour être vrai ; j’envoyais donc ma lettre de motivation au jury avec très peu d’espoir, tout en me disant que le pari m’était plutôt avantageux : je ne pouvais rien y perdre. Jusqu’à mon admission, je ne considérais pas mon départ comme une réelle possibilité mais davantage comme un rêve improbable. La question du pourquoi se posait alors à peine, mais si je me la pose aujourd’hui, il me semble qu’il s’agissait surtout de m’approcher d’une culture que je sentais être plus en accord avec moi-même.

En quoi tes premières impressions après ton arrivée en France, en seconde, ont-elles été différentes de ce que tu avais imaginé ?
De manière générale, je crois que mes attentes ne différaient pas tellement de la réalité. Tout s’est évidemment concrétisé une fois sur place mais je savais plus ou moins à quoi m’attendre quant à la culture et à l’esprit français. J’étais même émerveillé de découvrir le peu de différence qui séparait le cliché et les faits : un goût pour les choses de l’esprit et une certaine délicatesse dans le savoir-vivre que je ne trouvais pas en République tchèque foisonnaient parmi les Dijonnais que j’ai eu la chance de connaître.
S’il a pu y avoir tout de même quelques surprises, c’était surtout au niveau de la vie quotidienne. Des repas de trois heures, des draps de lit à cinq couches au moins ou du désinfectant qui ne pique pas… autant de nouveautés que j’ai découvertes en arrivant avec plus ou moins d’embarras.

Comment a évolué ton orientation au cours des trois années passées dans la section ? Qu’est-ce qui a motivé le choix de tes spécialités ?
Dès les premiers mois en France, je me suis vu changer énormément, y compris en ce qui concerne mes goûts en matière d’études. Si je pensais aimer plutôt les sciences dites dures avant de venir à Dijon, l’enseignement à la française m’a fait redécouvrir les disciplines humanistes en leur redonnant un certain charme. D’un seul coup, la littérature et l’histoire n’étaient plus des matières à faire du par cœur mais plutôt des moments de réflexion souvent passionnants. En première, j’ai donc opté sans regret pour trois spécialités littéraires (Humanités, littérature et philosophie ; Histoire, géographie, géopolitique et sciences politiques ; Langue, littérature et culture anglaise) qui m’ont fait découvrir entre autres la philosophie. Très rapidement, et surtout grâce à notre professeur de philosophie M. Marion (un nom qui devrait être familier à un certain nombre d’anciens !), j’ai compris à quel point cette discipline était capable d’embrasser des horizons très lointains. J’essayais alors de ne plus quitter cette disposition philosophique et la propension au questionnement qu’elle suppose. Il me semble que c’était là une rencontre tout à fait déterminante pour moi !

Cette année, en raison de la récente réforme, tu as passé le bac sous une forme que les anciens de la section ne connaissent pas. Quelle est ton expérience ?
Entre la réforme et l’épidémie, l’épreuve du baccalauréat de cette année n’était pas des plus organisées. De nombreuses épreuves ont été supprimées, de nombreuses dates données très peu en avance et les modalités des quelques examens qui ont fini par avoir lieu manquaient de spécifications. Le déroulement du bac 2021 a été beaucoup critiqué dans l’ensemble et nous les élèves avons effectivement subi l’impact des lacunes dans l’organisation malgré l’effort de nos professeurs et de l’administration.
Et même si l’on oublie le contexte sanitaire et les difficultés que celui-ci a pu engendrer, la réforme va, il me semble, à l’encontre de ce que devrait être l’école républicaine. L’exemple du fameux Grand oral suffit pour montrer que la forme prime désormais sur le contenu et sur les connaissances ; le contrôle continu va lui aussi dans ce sens-là en mettant les professeurs dans des situations parfois peu confortables et en instaurant des injustices liées à des différences de notation. Tout compte fait, mon vécu ne saurait être positif et je regrette beaucoup l’ancien système de filières qui permettait un traitement plus égal pour tous les élèves grâce à des épreuves corrigées au niveau national.

Tu as remporté la 2ème place au Concours général de philosophie. Explique-nous ce qu’est le Concours général et à quel point il est important. Pourquoi t’es-tu présenté ?
Depuis 1747, le Concours général est un concours national destiné à distinguer les meilleurs élèves des lycées dans toutes sortes de disciplines allant de l’ébénisterie jusqu’à la philosophie. On trouve parmi ses lauréats quelques grandes personnalités comme Jean Jaurès, Victor Hugo, Henri Bergson ou encore Jacqueline de Romilly, ce qui a permis de lui bâtir une renommée particulière. Les récompenses que le jury accorde se basent en général sur une seule épreuve particulièrement longue et difficile mais non moins passionnante : une dissertation de 6 heures en philosophie par exemple.
Quant à moi, je n’avais pas entendu parler de ce concours avant que mon professeur de philosophie m’ait proposé de participer. Je n’ai alors pas beaucoup hésité à accepter, l’épreuve de 6 heure étant une très bonne occasion pour s’entraîner et se préparer ainsi aux concours du supérieur. On a eu par ailleurs la chance de composer sur un très beau sujet – l’incertitude – et j’ai donc été ravi d’avoir pris part à ce concours. Il faudrait simplement que tous les professeurs, peu importe leur secteur d’enseignement, soient encouragés à présenter leurs élèves au concours car on note encore aujourd’hui une prépondérance de lauréats provenant de lycées parisiens !

Est-ce que tu t’es plus préparé au Concours général que tu ne l’aurais fait pour le bac ?
L’épreuve écrite de philosophie ayant été maintenue cette année au baccalauréat, je n’ai eu qu’à commencer mes révisions pour celle-ci un peu en avance afin de pouvoir me présenter au Concours général. Il n’y a donc pas eu besoin de préparation particulière ; réviser son cours de philosophie et ficher ses lectures personnelles suffisaient. De toute manière, en philosophie, il s’agit avant tout de réfléchir !

En septembre, tu intègres les classes préparatoires prestigieuses au lycée Henri-IV. Pourquoi avoir choisi justement cette école ? Qu’attends-tu d’elle ? Et qu’est-ce que tu aimerais faire après ?
Arrivé en terminale, je me savais passionné de matières littéraires et le choix de la prépa n’a donc pas été particulièrement difficile. Il s’agit d’une formation qui permet de se consacrer à ce que l’on aime tout en gardant plein de portes ouvertes. Au bout des deux ans d’études, on peut ainsi accéder à des écoles de traduction, des écoles de journalisme ou encore à des licences en de nombreuses disciplines. Quant à moi, j’aimerais me tourner vers la philosophie ; en choisissant de faire une prépa, je voulais surtout garder une ouverture d’esprit plus large à travers l’étude de plusieurs matières. L’idée de me dédier exclusivement à la philosophie était loin de m’attirer autant.
En ce qui concerne le choix d’Henri IV, je n’ai fait que suivre, sans aucune originalité, le parcours classique et déjà tracé par d’autres avant moi : Henri IV est un établissement s’adressant à de très bons élèves, ce qui lui a nécessairement bâti une réputation de prestige. C’est notamment cette dernière qui m’a attiré : après tout, qui ne voudrait s’aventurer sur les pas de Maupassant, de Musset ou encore de Gide ? Cette charge historique me paraît à la fois impressionnante et effrayante aujourd’hui, à quelques jours près de la rentrée…

Est-ce que tu peux décrire tes 3 années en France ? Qu’est-ce qu’elles t’ont apporté ? Pris ? Qu’est-ce qui t’as surpris ? Quels furent tes défis ?
Partir à Dijon pendant trois, c’est avant toute chose une expérience humaine absolument incroyable ! On grandit énormément en très peu de temps en apprenant à s’adapter, à penser autrement et à se rapporter à l’autre dans toute sa différence. C’est vraiment l’éducation par excellence au sens étymologique du terme : on est sans cesse conduit hors de soi-même et très vite on s’habitue à cet écartement permanent ! Avec un peu de bonne volonté, les trois ans peuvent donc être une sorte de catapulte intérieure projetant vers les sphères de la maturité.
Pour ma part cependant, ce que je retiens le plus en fin de ces trois années, ce sont tous les amis que Dijon m’a donnés. Que ce soit des camarades de la Section, des camarades français ou mes familles d’accueil, j’ai eu la chance de faire des rencontres précieuses et de nouer des amitiés qui ne se termineront certainement pas en même temps que mon séjour à Dijon. Je crois qu’en arrivant en France il y a trois ans, je ne pouvais en aucun cas me douter de tout ce que cela pouvait m’apporter !

Si le toi d’aujourd’hui pouvait se connecter avec le toi à l’époque où tu étais étudiant en Tchéquie et te donner des conseils sur les Sections tchèques, quels conseils aurais-tu appréciés à ce moment-là ?
Je n’aurais aimé partager aucun conseil ! Se jeter un peu dans le vide, c’est je crois tout l’enjeu des Sections !

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